Vagabondages (Rémo Gary)
Quoi de mieux pour naviguer
Que jeter l’encre, jeter l’encre
Quoi de mieux pour voyager
Que de l’encre sur du papier
Hissez le vagabondage
Ouvrez bien vos écoutilles
Écrire est un grand voyage
En stylo à bille
Le bateau est un manuscrit
A la plume de mouette, écrit
Trempée dans l’eau des gribouillages
Et la main est un équipage
Le cerveau c’est le capitaine
Le crayon le mât de misaine
Refrain
C’est un déferlement d’ormeaux
Qu’on pêche à pied, comme les mots
Les vers font la pêche à la ligne
Écrits à la langue des signes
Sur le grand plancher des moutons
L’eau moutonne sur tous les tons
Refrain
Si jamais on rate son tour
Si on rate l’aller-retour
On corrigera la rature
Par une autre littérature
Demain, pas de panique à bord
Les mots et les idées d’abord
Refrain
La route des épices (Rémo Gary / François Forestier)
Suivez la route des épices
Venez faire escale au quartier
Pas besoin de s’appeler Ulysse
Pas besoin de s’appeler Cartier
Si aujourd’hui ça sent l’anis
Les gâteaux seront étoilés
Ça sent la menthe c’est un indice
Quelqu’un va boire un verre de thé
Suivez la route des épices
Venez faire escale au quartier
Ne craignez pas les précipices
Les petits creux ni les marées
La mer c‘est de l’eau de mélisse
Y’a du safran pour les voiliers
On a rapporté de Tunis
Des aventures pimentées
Suivez la route des épices
Venez faire escale au quartier
Vous mangerez du pain métis
Et le riz sera créolé
On vous payera en épices
En p’tites galettes dorées
Trébuchantes dans l’orifice
Qu’on a tous en dessous du nez
Suivez la route des épices
Venez faire escale au quartier
De l’Afrique à l’ Ile Maurice
On a des gâteaux ensablés
Grains de Cézanne de Matisse
Les couleurs seront mélangées
Quand les pâtissières pâtissent
On visite le monde entier
Contorsionniste (Rémo Gary / Clélia Bressat-Blum)
A force de tant vouloir
Regarder son dos
L’homme caoutchouc ce soir
A un lumbago
Il a les muscles en panache
Le colonne vertébrale
Qui lui fait des noeuds de vache
Dans la verticale
Bras dessous et bras dessus
Il a trop tiré
Comme pour faire du tissu
Il est tout tissé
Il faudrait qu’on lui dénoue
Car il ne comprend plus bien
S’il a en bas de genoux
Le pied ou la main
Des noeuds il en fait d’autres
Des noeuds de marin
Des noeuds pour lier l’épeautre
Pour lier le foin
Et des boucles à ses godasses
Avec le serpent, le puits
C’est pas sûr du tout qu’il fasse
Les mêmes aujourd’hui
Il voudrait qu’on décroche
Le grand noeud coulant
Qui autour de sa caboche
Serre en l’étranglant
Et le gros paquet d’embrouilles
Ce peloton de soucis
Qui lui brasse, lui barbouille
Le ventre et l’esprit
Tiens voilà qu’un spécialiste
Avec ses remèdes
A notre contorsionniste
Propose de l’aide
Comme au théâtre en trois coups
Trois coups de cuiller à pot
Il débrouille il dénoue
Plus de lumbago
Plus de noeud dans la cervelle
Plus dans la mémoire
Plus d’anguille de civelle
Dans les cauchemars
Que c’est bon d’être un artiste
Et d’avoir enfin, mon vieux
L’estomac en corde lisse
Pour souffler un peu
La complainte (Rémo Gary / Clélia Bressat-Blum)
Deux sont venus de n’importe où
Trois autres sortis de leur trou
Voilà la première cuvée
Pas plus grande qu’une couvée
Comme ça du jour au lendemain
Comme ils ont partagé leurs mains
Comme ils ont mélangé leurs yeux
Les voilà qui étaient cent deux
Ils étaient d’accord sur la plainte
Ils en ont fait une complainte
Et ils ont confondu leurs peaux
Et les couleurs de leurs drapeaux
Mélangé le sucre et le sel
Combiné la menthe et le miel
Ils ont fait marcher leurs cerveaux
Ils ont remonté l’écheveau
Attrapé leurs jambes à leurs cous
Et voilà qu’ils étaient beaucoup
Ils étaient d’accord sur la plainte
Ils en ont fait une complainte
Y’avait de toutes les saveurs
De l’huile d’olive ou du beurre
Du riz, du maïs et du mil
Et voilà que ça fait 100.000
De la plus reculée des zones
Des grandes forêts d’Amazone
Des déserts où il ne pleut plus
Et voilà qu’on les comptait plus
Ils étaient d’accord sur la plainte
Ils en ont fait une complainte
Un jour on les a vus passer
Sous nos fenêtres, sous nos nez
Et avant qu’ils ne soient trop loin
Nous aussi on les a rejoints
On a mélangé nos maisons
On a embrouillé nos saisons
Les petits, les grands et les vieux
On a fait des milliards d’envieux
On était d’accord sur la plainte
On en a fait une complainte
Berceuse (Jean Richepin/ Gustave Michiels)
Le vent pince et la neige mouille
Berçant, bercé
C’est pas pour nous qu’est la pot-bouille
Ni le bon pichet renversé
Berçant, bercé
Bercé grenouille
Dors mon fieu dors, bercé, berçant
Fait froid dehors
Ça glace le sang
Mais y’a d’chez soi
Qu’pour ceux qu’a d’quoi
Le vent pince et la neige mouille
Berçant, bercé
Dans un chez soi on a d’la houille
Ou du bois d’automne ramassé
Berçant, bercé
Bercé grenouille
Refrain
J’aurions seul’ment un p'tit feu d’mottes
Berçant bercé
J’y chauff’rais petons et menottes
Et ton derrière d’ange tout gercé
Berçant bercé
Bercé marmotte
Refrain
Not’ maison à nous c’est ma hotte
Berçant bercé
Et l’vieux jupon qui t’emmaillote
Jusqu’à ta chair est traversé
Berçant bercé
Bercé marmotte
Refrain
La lune (Rémo Gary / François Forestier)
La lune est en quartier d’orange
C’est un morceau choisi
Avec l’agrume tout s’arrange
Le monde est plus joli
On s’entraîne à parler d’amour pour plus tard
Il n’est jamais trop tôt ni trop tard
La lune est en quartier fragile
Quand le ciel est tout blanc
La voie lactée est invisible
C’est un petit croissant
Refrain
La lune est en quartier d’hiver
C’est un marron glacé
On garde sous nos pull-over
La peau comme en été
Refrain
La lune est en quartier sensible
Nos cœurs sont gros comme ça
Cœurs d’artichaut, cœurs divisibles
Une feuille à chaque fois
On s’entraîne à parler d’amour pour plus tard
Il n’est jamais trop tôt ni trop tard
Opéra Gruss (Rémo Gary / François Forestier)
Entrez sous le grand chapiteau
Enlevez vos petits chapeaux
La toile tendu de haubans
Est ronde
Des tours de piste aux tours de terre
Vous verrez tout et son contraire
Venez vous asseoir sur le banc
Du monde
Voici Zavatta, voici Gruss
Des chiens savants de poupées russes
Des éléphants comme Jumbo
Qui couinent
Et bien plus solide qu’un chêne
Zampano qui casse des chaînes
Venez et vous verrez Anto-
Ny Quin
Venez voir les chevaux danser
Venez voir des hommes voler
Des dresseurs faire galoper
Des puces
Bartabas et ses écuyères
Des singes qui mangent à la cuiller
Y’a vraiment de tout dans l’opé-
Ra Gruss
On va vous raconter l’histoire
Du clown blanc, du clown noir
Lequel des deux est drôle ou triste
Au juste
Je veux rire et j’ai le coeur gros
Gentil méchant, joli, pas beau
Lequel des deux est sur la piste
Auguste
Votre ticket est en euros
Vous avez le bon numéro
Ça brille quand on regarde en haut
La toile
Comme une ronde sur du bleu
Comme autant de pays parbleu
L’Europe ça fait la piste aux
Étoiles
Mais il y a tous les autres aussi
Les sans chapiteau, sans abri
Qui ne tourneront jamais dans
La ronde
Des tours de piste aux tours de terre
Vous verrez tout et son contraire
Venez vous asseoir sur le banc
Du monde
Le dresseur d’ours en peluche (Rémo Gary / Clélia Bressat-Blum)
Le dresseur d’ours en peluche
Se gratte la tête
Depuis qu’il bosse, qu’il bûche
L’ours n’est plus bête
Ils lui a appris à faire
Les boucles à ses chaussures
A réciter Baudelaire
Verlaine ou Arthur
Pourquoi alors qu’il se gratte
Le cuir chevelu
Quand l’ours est un acrobate
Quand il a tout lu
C’est une puce sauvage
Pas chic pour un rond
Qui a source du grattage
Fourni le bouton
Lui qui en a dressé d’autres
Des chats et des chiens
Des roquets de drôles d’apôtres
Une puce de rien
Qui l’attaque sur le crâne
Elle qui devrait piquer
Comme d’habitude les ânes
Il va la dresser !
Mais voilà l’ours qui lèche
Le bouton maudit
Qui souffle pour que ça sèche
Le voilà guéri
Et pour l’emporter le met
Sous son bras, en fagot
Et l’emmène à Guernesey
Chez Victor Hugo
Le dresseur d’ours en peluche
Voit le vieux monsieur
Victor c’est sa coqueluche
C’est son maître, mieux
C’est lui, lui qui l’aide à vivre
Qui lui apprend tout
Il serait prêt à le suivre
Comme un vrai toutou
Mais notre fable trébuche
C’est le virago
Le dresseur c’est la peluche
L’ours c’est Hugo
Qui dresse qui, quand et où
Qui apprend qui à quoi ?
Non le dresseur n’est pas tou-
Jours celui qu’on croit
Le Trapèzautiste (Rémo Gary / Jeanne Garraud)
Cet homme est trapezautiste
C’est un fou acroboutiste
Il est tout cassé
L’est tombé cent fois par terre
Le nez mouchant la poussière
Pas raccommodé
Cet homme est un acropate
Un nécropied, un tripattes
Car il est manchot
Trapezautiste pourquoi ?
Quand on a une jambe de bois
Faut être dingo
Son nom c’est Jean Schizophrène
Ce monsieur jamais ne freine
Devant le danger
S’il ripe s’il s’encramaille
Il pass’ra entre les mailles
Pour mieux s’écraser
Très souvent il se mélange
Et confond le saut de l’ange
Et le vol d’oiseau
Ange il devient il et elle
Et il se brûle les ailes
A comprendre trop.
Il balance des heures entières
Pendu à la crémaillère
De ses deux anneaux
Sous le ciel de son portique
Il fait sa thérapeutique
Dans son numéro
En jouant les kamikaze
Il raccommode les cases de son ciboulot
Oui à chaque pirouette
Il se soigne un peu la tête
Et c’est son boulot.
Mais notre trapezautiste
Une fois quittée la piste
Une fois en bas
Vous donnerait sa chemise
Pour chauffer votre remise
Son membre de bois
Car le fou quand il descend
De sa hauteur de son banc
De son piédestal
Redevient l’homme ordinaire
Sa vie retrouve par terre
Son débit normal
Lance ton galet (Rémo Gary / Clélia Bressat-Blum)
Lance ton galet
Fais un ricochet
Jusqu’à l’autre rive
Jette ton gravier
Moi de mon côté
J’attends qu’il arrive
Mets ton grain de sel
Paye ta gabelle
Un peu de tes larmes
Fais en un ruisseau
Et jette dans l’eau
La poudre des armes
Sème ton carré
De grains de beauté
De grains d’escampette
Pour avoir la paix
Pour avoir l’après
Sème la tempête
Lance tes harpons
Jette des grands ponts
Dessus la botasse
Lance ton radeau
Nage sur le dos
Ne bois pas la tasse
Lance des rochers
A pleines poignées
Pour construire la route
Lance des diamants
Dans le firmament
Pour finir la voûte
Et contre les bombes
Lâche une colombe
Même une corneille
Ou même un corbeau
SI t’as pas d’oiseau
Lance une bouteille
Lance ton galet
Fais un ricochet
Jusqu’à l’autre rive
Jette ton gravier
Moi de mon côté
J’attends qu’il arrive