Archives (Rémi Garraud)
Espérer ce qui arrive
Célébrer ce qu’on attend
Retrouver dans ses archives l’instant
Celui des javelles qui grillent
Des feuillages tremblants
Juste sortis de nos coquilles, naissant
Célébrer ce que nous sommes
Vouloir se retourner un peu
A l’âge de même pas trois pommes, des jeux
Naviguer sur l’eau des flaques
Et savoir mériter des grands
Bien plus de baisers que de claques, enfants
Espérer prendre un peu le large
Changer ses flaques en océans
Ecrire quelques mots dans la marge, vivants
Le bonheur de gré ou de force
Comme un flot de sève et de sang
Faire craquer sa dernière écorce, volcans
Espérer celui qui arrive
Célébrer celle qu’on attend
Et s’user à la même rive, amants
Des heures envoûtant leurs aiguilles
Et pour mieux affronter le temps
Pour l’enfant, on se fait coquille, créant
Espérer ce qui arrive
Célébrer ce qu’on attend
Alors un soir dans ses archives l’instant
Celui où plus rien ne nous grille
Aux feuillages absents
Où nous retrouvons nos coquilles, mourrant
La brume (Rémi Garraud)
La brume était grisâtre et semait sa grisaille
Les veillées de novembre s’étalaient sans secousse
La terre avait gelé et l’on n’y voyait pousse
On avait regarni le matelas de paille
Le labour et ses vagues devenaient comme pierre
François passerait-il sur le sentier d’en face
Ne sachant de lui que de ses souliers les traces
Le grand froid nous rendait la vie plus solitaire
Les murs de notre gîte baillaient de mille failles
Et les ongles du vent écartaient les lézardes
L’épouvantail aussi se transformait en garde
Espérant, mais en vain voir revenir la caille
L’attente était légère tant la vie était dure
Et la moindre des braises réchauffait nos charpentes
Complètement durcies, déjà presque cassantes
Couvertes de peau sèche sans espoir de blessure
Se retirant la brume éloignait sa grisaille
Aux soirs de février nos premières secousses
Aux terrains ramollis sort la première mousse
Nous voulions être germe, lassés d’être semailles
La brume était grisâtre et semait sa grisaille
Le rat d'égout (Rémi Garraud)
Un rat d’égout, un compagnon
Préférant à tous vos salons
L’eau de vaisselle
L’égout ne se discutant pas
Je partageais avec ce rat
Mon écuelle
Chaque matin au petit jour
À deux, on allait faire la tour-
Née des poubelles
Et les décharges du pays
Pour nous c’était les Galeries
Ou les Nouvelles
Après un copieux dîner
On traînait le soir pour tâter
De la dentelle
Une compagne pour le rat
Une tendre souris pour moi
Toutes deux belles
Et bien qu’il eut un très grand front
Il n’avait pas vraiment de plomb
Dans la vervelle
Dire qu’ils l’avaient raté cent fois
`Qu’on dératisait à tout va
Dans la ruelle
Nous dormions sous les ponts l’été
Nous n’avions pas de bouche d’é-
Gout personnelle
Et quand l’hiver nous ramenait
Aux bas-fonds, notre adresse était
Plus officielle
Or un matin me réveillant
Croyant trouver mon rat dormant
Sous mon aisselle
Je vis au bord de la rivière
Mon ami flotter de manière
Inhabituelle
Et quand je vis que son état
Annonçait mort, on ne peut pas
Plus criminelle
Je suis remonté dans la vie
Dans ses eaux fades et blanchies
Artificielles
Qui me savez (Rémi Garraud)
Mes voisins de pensée, mes copains de quartier
Les amis que la vie laisse bien affamés
Au hasard des rue bien que nous nous trouvons pas
Je vous aime beaucoup, qui ne me savez pas
J’écorche mes chemins aux ronces de nos vie
Mon aventure est sobre et mon espoir aussi
Ceux que j’ai supporté, à longueur de semaine
Là, je vois dans leurs yeux plus de peur que de haine
Quand vous étiez le pont, je vous croyais canal
Je vous aime parfois, qui me savez si mal
Refrain
J’ai marché dans vos traces, pour y caler mes pieds
J’ai grandi dans vos ombres me suis laissé tirer
J’ai cru vous dépasser et j’ai perdu de vue
Ceux que j’aime aujourd’hui, qui ne me savent plus
Refrain
Me suis servi de vous pour penser mes blessures
Vous ai conté sans gène toutes mes déchirures
Comme je l’avais prise, vous ai lâché la main
Je vous aime pourtant qui me savez trop bien
Refrain
Ceux qui restent aujourd’hui, souvent là sur mes routes
Ces copains de longtemps, d’encore un peu sans doute
Que de cordes tendues, que d’accrocs à nos liens
Je vous aime vraiment qui me savez si bien
Refrain
Ecoute enfin compagne, ventre de mes affronts
Nous avons nos averses, nous avons nos passions
Nous reste des embûches, qu nos chemins ignorent
Je veux t’aimer bien plus et te savoir encore
Refrain
La vie (Rémi Garraud)
C’est un oiseau blessé qui crache son duvet
Et c’est le sang séché sous la plume d’un trait
C’est le regard de l’eau dans les yeux de l’enfant
C’est un cri sur ta peau, c’est un commencement
C’est la règle du jeu que l’on prend à l’envers
C’est semer la raison à tort et à travers
La vie, la vie…
C’est la croûte d’un cœur que l’on s’arrache un peu
En se donnant du mal à devenir heureux
C’est une rue mouillée qu’éponge la poussière
C’est un jour condamné pour une nuit entière
C’est la sueur de sel, écrasé sur ta joue
C’est un roi confondu sur la case d’un fou
La vie, la vie…
C’est la mer refoulant des restes de plaisir
C’ »est l’amour que l’on perd à vouloir le bâtir
C’est un baiser prêté que l’on oublie de rendre
C’est dans l’atrocité une éclaircie de tendre
C’est un ciel qui ricane juste avant qu’il ne tonne
C’est un corps réchauffé par les mots qu’il se donne
La vie, la vie…
C’est la mort qui piétine sur le trottoir d’en face
C’est la fougue d’un pas qui lui fait la grimace
C’est à la fois tout ça et puis tout le contraire
La fugue a son retour la pièce son revers
C’est s’écouter frémir à l’instant où nous sommes
C’est se sentir immense pourtant n’être qu’un homme
Laisser monter en soi les assauts du désir
De cette moelle là se laisser envahir
Se mettre face au vent et s’en remplir le torse
Empoigner son destin, croire à sa propre force
La vie, la vie…
Jeanne (Rémi Garraud)
À peine sortie du cocon
Toi la frangine
Nous t’avons choisi un prénom
Neuve gamine
Jeanne, qu’a servi tant de prénoms
Que se dessine
Quelques lignes à tes horizons
Puise alors un peu demoiselle
Chez mes ancêtres
La douceur, la chaleur de celles
Qui m’ont vu naître
Qui rajoutent aujourd’hui de la
Beauté peut-être
Au prénom qu’elles portaient déjà
Georges l’a chantée à sa façon
À sa mesure
De sa Jeanne sois de même son
Même mouture
Comme la bonté d’une mère
D’aventure
Comme le pain, comme la terre
Et cette Jeannette qui pleure
L’amie de Pierre
Qui plutôt que laisser son cœur
À la poussière
À l’amour trop ennobli
Froid comme pierre
Préfère le corde et l’oubli
On t’a prêté tous les atours
Toutes les grâces
Célébré déjà dans les cours
Et sur les places
Sache bien qu’encore notre amour
A de l’espace
De quoi en vivre chaque jour
De quoi fabriquer que tu sois
Bien que frangine
Fille unique loin d’être à la fois
Comme orpheline
Pour ne bien ressembler qu’à toi
Toi la gamine
Jeanne ma fille que tu sois
Fille que tu sois fille
Rapelle moi (Rémi Garraud)
IL me vient en mémoire
Ce chemin de halage
Les barques illusoires
À tirer du rivage
Nos discours affligés
Par les poussées de brise
Aux membres étouffés
Par des brumes si grises
Rappelle-moi encore, rappelle-moi veux-tu
Les routes que nos pieds n’ont pas encore conçues
Les berges où les sables n’ont pas vu nos empreintes
Ni les feuilles séchées supporté nos étreintes
Montant de mes entrailles
Il me vient des chansons
Dont je renoue les mailles
Il m’en vient à foison
Du refrain tout meurtri
Par les années qu’il croise
À celui d’aujourd’hui
Qui souffle et nous embrase
Rappelle-moi encore, rappelle-moi veux-tu
Les notes que nos voix n’ont pas encore prévues
Les cordes que nos doigts n’ont pas encore sues tendre
Et les mots du hasard qu’il nous reste à entendre
Parfois, j’ai souvenance
Des soirs de retrouvailles
De ces copains d’enfance
De nos maigres ripailles
De la vie, notre goût
Explosant en délire
Et de nos espoirs fous
S’éteignant dans des rires
Rappelle-moi encore, rappelle-moi veux-tu
Les belles embrassades, pas encore entrevues
Les rendez-vous restés, sur le palier de rêves
Les sourires oubliés, quand le cœur est en trêve
Rappelle-moi encore, rappelle-moi surtout
Les amours qui n’ont pas encore voulu de nous
Les berges où les sables n’ont pas vu nos empreintes
Ni les feuilles séchées supporté nos étreintes
Ni les feuilles séchées supporté nos étreintes
Écoute au delà (Rémi Garraud)
Six ans que nous sommes amis
Autant que nous marchons ensemble
Je t’aime mieux depuis lundi
Aujourd’hui c’est ce qu’il me semble
Combien de feuilles me tomberont
Et viendras-tu à ma récolte
Combien de larmes couleront
Qui viendront mouiller mes révoltes
Ecoute au-delà de tes mots
Et lis un peu entre mes lignes
On ne finit pas aux sabots
Rechaussé pour aller en vigne
Je t’aime quand tu n’es pas là
Juste avant que je te retrouve
Et quand je ne te cherche pas
C’est dans les mots que je te trouve
Et tu as la couleur de l’eau
Et j’imagine des croisières
Et des ballades et chariot
Quand tu as la couleur de terre
Refrain
Et ne pas remettre à lundi
Les amours convoités dimanche
User en plein de notre vie
Manger tout de pain de la planche
Et puis encore ouvrir au vent
Ma fenêtre pour que tu vibres
Mettre à ton moulin le torrent
L’eau qu’il me reste encore à vivre
Refrain
Blues du débris (Rémi Garraud)
La sueur de ses cheveux raides
Croupissait sur sa peau rugueuse
Sa tignasse était aussi laide
Que sa figure était crasseuse
Sale, jauni sec et rigide
Son béret marron refermait
Cette boîte qu’on soupçonnait
Déjà trop vieille et presque vide
Des oreilles d’où suintait
Une cire jaunâtre et grasse
Feuilles que le vent chahutait
Et creusées comme des crevasses
Quand l’ouragan se faisait brise
Le spectacle était légendaire
Elles tombaient sur sa chemise
Balayant un peu la poussière
Ses moustaches où l’on devinait
Ce qu’il avait mangé la veille
Etaient devenues le relais
D’une faune sans pareille
Punaises, moucherons et puces
Y donnaient des soirées galantes
Riaient, dansaient, trouvant en plus
Une nourriture abondante
Un front de mille gorges creusé
Mille sillons dans cette terre
Comme un champ mal labouré
Un morceau de peau en jachère
Comme l’arbre qui chaque année
De bois s’enrobe d’une page
Un autre menton lui poussait
Leur nombre désignait son âge
Sa démarche était si scabreuse
Que c’était grâce à son calibre
À sa taille volumineuse
Qu’il gardait un peu l’équilibre
S’il faut tout dire, tout expliquer
Ne voyant en lui que mépris
Toutes les loques du quartier
L’avaient surnommé le débris
Les ombres (Rémi Garraud)
Aux vergers délaissés pourrissent quelques pommes
J’y revois, repassant, le souvenir enfoui
De toi
Mais rien presque rien, l’ombre de ton fantôme
Rangé dans le grenier de l’ombre de ma vie
Je revois, forçant mes yeux à la renverse
La salive dormante nous parcourir les os
Et la terre des vignes qui n’attend que la herse
Rangée dans le grenier à l’ombre d’un chariot
En fermant les paupières pour mieux tout reconnaître
J’aperçois des matins de deuil et de mépris
Surtout
Pour le désir de devenir son maître
Et ranger au grenier les ombres de sa vie
Je revois des mains crispées par nos vengeances
Des joies que l’on s’invite à réciter par cœur
Et l’énergie superbe gorgée d’adolescence
Pour nos amours novices, des fourmis dans le cœur
Et puis deux filles belles qui sont sorties de l’ombre
De la nôtre bien sûr mais qu’il leur faudra bien
Quitter
Pour qu’à leur tour elles rangent en la pénombre
Le souvenir des jours et des nuits de demain
Je revois, familles innombrables, pesantes
Fouillis de noms, de jours e t mélange de mots
Des visages d’enfants et de vieilles parentes
Rangés dans le grenier à l’ombre d’un tableau
Et les soleils brûlants qui parfois nous traversent
Qui germent en dedans, quand le dehors trop gris
Nous bouscule de froid, quand les ombres transpercent
Laissant dans nos greniers quelques ombres à nos vies
Les heures (Rémi Garraud)
Quelques nuages ébouriffés
La saison refuse l’été
Plus la brume court un peu
Et le ciel renonce à ses bleus
La terre est fraîche d’aujourd’hui
C’est une heure d’après-midi
L’aiguille claque
L’ennui me traque
L’encre sèche dans son étui
C’est une heure d’après-midi
Et l’enfant joue sur le lino
Le panier lui sert de radeau
Il faut encore couper du bois
Remettre des écailles au toit
Semer quelques graines au jardin
Pour les heures d’après-demain
L’aiguille claque
La fatigue me traque
La terre sèche dans nos mains
C’est une heure d’après-demain
La cigarette consumée
Et la nuit rejoint sa fumée
La vie déchire quelques pages
La tête froisse des images
Un bout de silence l’étreint
C’est une heure d’après plus rien
L’aiguille claque
Le sommeil me traque
Et l’horloge s’arrête enfin
C’est une heure d’après plus rien